ADIEU ET MERCI
(2013)La représentation est terminée. Les lumières se rallument. Le public commence à applaudir. La danseuse revient sur scène et salue. Que se passe-t-il à ce moment précis ? Où sommes-nous : encore dans le temps de la représentation, déjà dans l’après – à la lisière ? Et que recouvre le geste de l’interprète qui tout à la fois s’incline, remercie le public et se livre à son approbation ? Le salut constitue un rituel incontournable en même temps qu’un seuil, reflétant différentes conventions implicites de la représentation. Afin de rayonner à partir de ce code scénique, d’aborder ses zones d’étrangeté ou de drôlerie, Latifa Laâbissi endosse une figure paradoxale lui permettant d’en parcourir les strates historiques, esthétiques et subjectives : à la fois elle-même et une foule d’autres qui l’ont précédée, elle glisse entre les identités et les registres. Au filtre de cette fin sans cesse reprise, étirée, différée, des fragments d’histoires s’enchâssent, des mémoires remontent à la surface : un jeu de variations, de diffraction des temps et des présences, « autant de fois qu’il y a de fins possibles ». « Saluer politique, saluer social, saluer pour de vrai, saluer pour de faux » : des révérences de ballet aux saluts contemporains, Latifa Laâbissi construit une minutieuse chorégraphie de traces et d’inclinations mettant le spectacle en abyme. Mêlant les genres, réfléchissant et redéfinissant les formats, le travail de Latifa Laâbissi cherche à faire entrer sur scène un hors-champ multiple ; un paysage anthropologique où se découpent des histoires, des figures et des voix, et par où s’infiltrent les signes de l’époque. Après des pièces comme Self portrait camouflage, Loredreamsong ou Histoire par celui qui la raconte, présentée en 2006 au Festival d’Automne à Paris, Adieu et merci continue à creuser dans l’inconscient de la danse afin d’en révéler les angles morts.
Gilles Amalvi